lunes, 10 de enero de 2011

La Fabrique du Théâtre

10 janvier 2011
Ces jours-ci, le Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique (Paris 9ème) invite le public à venir voir jouer ses élèves de troisième et dernière année. Quelques mois avant les « journées de Juin », qui dévoilent chaque été les travaux des étudiants guidés par de prestigieux metteurs en scène, voici donc déjà l’occasion de rencontrer cette nouvelle génération d’acteurs, parfois fragiles, au niveau inégal, mais ni plus ni moins, en somme, que certains professionnels. Ce qu’ils ont d’exceptionnel, ces futurs « diplômés » du Conservatoire, c’est une ferveur intacte, une attention minutieuse portée à chaque mot qu’ils prononcent ; un souci presque angoissé d’être à la hauteur de leur personnage… Ces qualités s’imposent d’autant plus qu’ils jouent Les Trois Sœurs , ce drame de Tchekhov (1860-1904) où les êtres, bouleversés et bouleversants, ne laissent qu’entrevoir la souffrance qui les traverse. L’autre jour, j’ai vu ces jeunes gens répéter l’acte IV de la pièce dans la ravissante petite salle Louis Jouvet, où ils travaillent sous la direction d’un camarade de promotion : Julien Oliveri.
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Copyright : Anne Gayan
Le jour de ma visite, un spot venait de prendre feu, c’était un peu la pagaille, et les comédiens avaient du mal à retrouver leurs rôles après deux semaines de vacances. Mais ce fut un pur délice, et un vrai moment de théâtre, de contempler l’apprenti metteur en scène et ses condisciples faire face à toutes sortes de problèmes à la fois élémentaires et cruciaux. Par exemple lorsque Irina (Flore Babled), la plus jeune sœur, annonce dans une tirade qui mêle espoir et résignation, sa décision d’épouser le Baron. Son beau-frère Fedor Ilitch (Martin Loizillon) et le docteur Ivan Romanovitch (Mathurin Voltz) qui sont alors sur scène, doivent la soutenir de leur présence, ne pas la laisser trop seule, mais tout en prenant garde à ne pas se « figer dans l’écoute ». C’est une question de dosage, un peu comme pour le piano, qui accompagne la scène sur l’air hautement symbolique de « la prière d’une vierge » : la musique doit être présente, distincte, proche, mais tout en venant d’ailleurs, et sans résonner trop fort… Autre nuance tchekhovienne : le personnage de Macha, la sœur cadette (Claire Chastel), qui renonce à voir son amant pour toujours. Elle a perdu le bonheur comme elle l’avait connu, « par bribes », et traîne au quatrième acte une souffrance à hurler, mais toujours avec une glorieuse pudeur…
« T’excuser, ça ne sert à rien », répond Julien Oliveri, à la fois tendre et pragmatique, lorsqu’une comédienne lui dit « pardon », parce qu’elle ne trouve pas le ton juste, et recommence en vain le début de sa scène. Le jeune homme rêvait de monter Les Trois Sœurs depuis l’âge de vingt ans. Il en a aujourd’hui vingt-cinq, et dirige ses camarades avec autant de douceur que de précision. Je n’ai vu la petite troupe qu’en répétition, mais il me semble que c’est bon signe, d’interpréter Tchekhov avec une angoisse pleine de tendresse; et c’est bon signe, de travailler les rôles d’Irina, de Macha ou d’Olga comme si le destin de ces personnages dépendait de leur interprétation. N’est-ce pas déjà un peu rendre justice aux trois héroïnes ? Voilà pourquoi je recommande d’aller les découvrir un soir, entre le mardi 11 et le samedi 15 janvier, dans la petite salle Louis Jouvet du Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique.
PS : Jusqu’au 12 janvier, à 19h30, dans la grande salle du Conservatoire, on peut voir également Opus Magnum, pièce écrite par Olivier Py qui dirige l’autre partie de la classe des élèves de troisième année.

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